Le tatouage des partitions numériques

La protection des droits d’auteur à l’ère de la partition papier

Comme expliqué dans Droits d’auteur et copyright, les droits d’auteurs sont essentiels aux acteurs de la publication musicale puisqu’ils servent à assurer leur survie.

Cette protection a été partiellement assurée depuis l’invention de la photocopie (qui enfreint le copyright), grâce à la perte de qualité issue de ce processus de reproduction.

Autant les premières photocopies d’originaux peuvent se trouver de qualité acceptable, autant le résultat de photocopies de photocopies tend à limiter naturellement le nombre de reproductions illégales. En effet les musiciens sont réticents – et on les comprend – à travailler sur des partitions de piètre qualité.

Ceci étant, avec l’amélioration de la qualité des photocopieurs, cette protection fortuite tend à s’amoindrir.

Les photocopies légales

Une disposition a été introduite afin de rémunérer auteurs et éditeurs tout en mettant en œuvre un processus de photocopie : celle réservée aux conservatoires et autres écoles de musique, qui signent une convention de reproduction avec l’éditeur (voir http://www.seamfrance.fr/les-conventions/)

Dans ce cas, ils peuvent accoler des vignettes sur les reproductions – indiquant ainsi que la copie est légale –, à hauteur des droits dont ils se sont acquittés.

Partition avec vignette SEAM

Partition avec vignette SEAM

La protection des partitions à l’ère du numérique

Maintenant que nous allons progressivement tous finir par acheter nos partitions – non tombées dans le domaine public –  au format numérique, les éditeurs vont pouvoir tirer profit de ce nouveau support en diffusant des copies protégées des partitions, limitant ainsi la violation du copyright.

En effet, jusqu’à présent les éditeurs ont été assez frileux pour transformer leurs partitions au format numérique et se lancer dans l’e-commerce, tant qu’il n’existait pas de moyen efficace pour protéger leurs copyrights.

Cette protection pourra se faire par le dispositif de tatouage numérique (en anglais digital watermark, littéralement « filigrane numérique »).

Quel est le principe du tatouage numérique ?

Le modèle des DRM (Digital Rights Management), stipule que chaque objet digital doit porter deux marques distinctes : son propriétaire, et le dernier client légal.

Le tatouage consiste donc à intégrer ces informations dans la partition numérique, permettant de diffuser au moment de l’achat, des copies uniques de celle-ci.

Grâce à cette identification, il sera possible par des moyens appropriés de contrôler la diffusion de la partition numérique en question.

A l’instar de ce qui existe dans le domaine de la photographie numérique où des services spécialisés de recherche parcourent le Web jour et nuit, à la recherche de milliards d’images afin d’en détecter les tatouages et d’en prévenir les propriétaires, cela permettra de retrouver l’utilisation illicite d’une partition numérique suivant ces critères.

Cette détection sera également possible sur une impression de la partition tatouée (ou son scan).

Le contrôle permet de savoir qui utilise une partition, afin le cas échéant d’en interdire l’usage. Mais cela peut aussi être d’en autoriser l’usage sous licence.

Un filigrane numérique n’est pas nécessairement un tatouage

En prenant cette définition, les filigranes numériques que l’on trouve parfois apposés sur les miniatures des photos numériques, afin d’en empêcher l’exploitation et de conduire les clients à l’achat des versions plein format, ne constituent pas des tatouages puisqu’ils ne contiennent pas d’identification de copyright.

Leur rôle est juste de dégrader l’objet insuffisamment pour qu’on puisse l’identifier parfaitement, mais suffisamment pour qu’on ne puisse pas l’exploiter pleinement.

Le même principe est utilisé pour les partitions numériques :

Cette partition peut être lue et utilisée, mais son aspect visuel est fortement dégradé et sa diffusion large inenvisageable

Cette partition peut être lue et utilisée, mais son aspect visuel est fortement dégradé et sa diffusion large inenvisageable

Par ailleurs, les partitions affublées d’un filigrane numérique ne sont jamais complètes.

Seules les premières pages sont accessibles sous cette forme.

Quelles informations exactement sont contenues dans le tatouage ?

Plus précisément, on trouve dans les informations de copyright, l’identification :

  • de l’éditeur
  • du type de musique
  • de l’objet (identification de l’œuvre)
  • du client/ou de la transaction

A quel moment insère-t-on le tatouage ?

Autrement dit, quand dans le processus de fabrication de la partition numérique insère-t-on le tatouage digital ?

Les informations relatives à l’éditeur, le type de musique et l’identification de l’œuvre peuvent être intégrées à la partition chez l’éditeur.

Sur cette partition tatouée, le distributeur peut également la personnaliser en y adjoignant son identité, ainsi que celle du client final.

Un dernier cas possible de tatouage est celui mis en place par le particulier depuis un logiciel d’édition du marché (MusicXML ou autre), contenant donc la représentation symbolique de la partition.

Le compositeur désireux de protéger sa propre production peut alors insérer le tatouage au moment de sa transformation au format PDF, au format image, ou lors de l’impression papier.

Code du tatouage

Le tatouage est généralement divisé en 2 parties :

1. copyright watermark

<publisherIDcode><component type><component number>

Au total, 12 caractères alphanumériques de 6 bits chacun (avec un codage style GBCD ne contenant que des lettres latines et des chiffres) soit 72 bits.

2. user watermark

<LDID>

Le contenu de cette partie contient le distributor ID, qui est composé de 6 caractères alphanumériques, soit 36 bits.

Avec ce codage, le nombre total de bits à intégrer dans la partition numérique est de 108.

Les deux caractéristiques principale du tatouage

La robustesse

Lors de transformations (impression, scan,…), il peut y avoir des effets de changement de brillance ou de contraste, de redimensionnement ne conservant pas les proportions, de rotation ou de distorsion locale, d’apparition de points (poussière), de bandes, de flou, de déformations proches des bords de page, etc…

Le tatouage doit pouvoir être robuste vis à vis de telles transformations : Généralement, il doit être lisible tant que la partition a encore une valeur commerciale. On considère qu’un tatouage doit encore être identifiable après 10 opérations de recopie.

D’autres altérations sont possibles sur les images scannées : celles non intentionnellement destinées à enfreindre le copyright, servant à améliorer l’image obtenue (application de filtres moyens ou passe-bas pour réduire les bruits de haute fréquence).

Là encore, le tatouage doit être lisible tant que la partition a encore une valeur commerciale.

Enfin, on peut également considérer que le coût nécessaire à l’élimination du tatouage doit être extrêmement élevé en comparaison de celui de l’achat de la partition.

La capacité

La capacité est l’aptitude du système à encoder le tatouage sur un nombre limité de pages. L’optimum est bien sûr de pouvoir insérer le tatouage sur une seule page de partition.

Les deux types de tatouages

Les tatouages peuvent être de deux natures : visibles et invisibles.

Tatouage visible

Le principe du tatouage visible est de dissuader sa diffusion massive (par exemple sur le net). On voit clairement qui est le propriétaire de la partition et sa publication sur certains sites pourrait paraître tout de suite suspecte.

En contrepartie, il peut-être relativement facile de s’en débarrasser par ‘gommage’, que la partition soit une image, un PDF …

Tatouage de bas de page

Le tatouage visible le plus simple à mettre en œuvre est celui de bas de page.

Chaque page de la partition se voit augmentée d’informations rappelant qui est le propriétaire des droits et à qui elle a été vendue.

Exemple type :

tatouage-bas-de-page

Filigrane additionnel

Au tatouage de bas de page est souvent ajouté un filigrane additionnel tels que ceux vus précédemment. Plus difficile à enlever, la contrepartie est la gène occasionnée pour le musicien.

Tatouage invisible

Le tatouage invisible ne l’est pas nécessairement en totalité, mais en tout cas il ne doit pas être clairement apparent.

L’avantage est que le contenu visible est inchangé (pas de gène pour le musicien) et que l’utilisateur final ignore la présence du tatouage et donc de l’information cachée (il y aura moins de tentatives de se débarrasser du tatouage).

Dans la suite de cet article, nous allons nous concentrer sur le tatouage invisible.

Les différentes approches pour mettre en œuvre un tatouage numérique invisible

Techniques agissant sur l’image

Approche utilisant le tatouage invisible d’images

Une première méthode pourrait consister à réutiliser les techniques habituelles de tatouage d’image. Dans ces techniques, le code se loge dans le niveau de gris de certaines zones assez homogènes.

L’inconvénient principal de l’approche est qu’il est aisé de faire disparaître le tatouage si on convertit la partition en noir et blanc (ce qui ne pose par définition pas de problème pour une partition).

Même quand les partitions sont scannées en haute résolution, la conversion en image binaire est possible sans aucune perte du contenu musical.

Les techniques d’image ne sont donc pas adaptées aux partitions.

Approche symbolique

L’idée est d’arriver à cacher le tatouage dans la présentation de l’information musicale elle-même, sans déformation.

Ceci est proche des tentatives de tatouage de texte (se logeant dans les espaces entre les mots, les polices de caractères, …)

On peut agir dans les partitions musicales sur les mêmes propriétés, soit :

  1. les distances verticales (entre les lignes de portée)
  2. les distances horizontales (entre les symboles musicaux)
  3. l’épaisseur de certains symboles musicaux
  4. l’orientation ou forme des symboles

Les avantages sont que les symboles sont non déformés (sauf dans le choix 4) et par conséquent que la robustesse est accrue : tolérant même après photocopie, scan, impression.

Les techniques symboliques

Parmi les méthodes reposant sur une représentation symbolique, quelles sont..

Les techniques qui ne donnent pas de bons résultats…

Translation des notes

Le principe consiste à décaler les notes sans perte de signification de la partition. Ce type de transformation est invisible.

symboles-musicaux-translates

Le gros inconvénient est que cette technique nécessite la partition originale (de référence) pour la lecture du tatouage, à partir du moment où la position initiale des notes doit être prise en considération.

Et les celles qui sont viables …

Modification de la ligne de portée

Autre solution : mettre des pixels particuliers sur les lignes de portée… (quasi invisible à l’œil). Comme les lignes sont considérées par les musiciens comme un fond sur lequel sont placées les notes, cette méthode est assez performante.

Par ailleurs, ce dispositif ne change pas la forme des notes et des autres symboles musicaux.

Code intégré aux lignes de portée

Pour retrouver le code il faut d’abord retrouver les lignes de la partition (voir les techniques de OMR – Music OCR, histogramme horizontal), puis recomposer le code à partir des suites de morceaux de lignes épaisses et normales.

Masque de lignes

La méthode jugée la meilleure par les musiciens consiste à marquer certains points particuliers de la partition, qui servent à définir des lignes invisibles les coupant.

La position et l’orientation des ces lignes cachées sert de véhicule pour le code du tatouage.

Les points marqués sont obtenus en effaçant une toute petite partie des lignes de portée par lesquels passent ces lignes invisibles.

Exemple :

Cette partition est tatouée :

partition-tatouee

Or ce n’est pas très visible. En y regardant de près,  on voit de petits trous sur les lignes qui correspondent au tatouage encodé par les lignes invisibles suivantes :

partition-tatouee-decodee

Afin d’être les plus discrets possibles, les points choisis sur les lignes ne doivent pas masquer d’autres éléments de la partition. En particulier, ils ne doivent pas tomber sur une ligature, à l’intersection de la ligne et d’une hampe de note, etc…

C’est donc l’angle entre une ligne cachée et l’axe vertical qui sert à coder l’information. Il faut par conséquent plusieurs de ces lignes pour arriver à encoder toute l’information contenue dans le tatouage :

points-choisis-pour-materialiser-la-ligne

Les cercles indiquent les endroits où seront placés les trous par lesquels passent la ligne invisible

Comment le code est-il constitué à partir des lignes ?

L’angle choisi pour les lignes doit être contenu dans un intervalle permettant de couper plusieurs lignes sur une ‘distance’ courte. A cet effet, l’angle choisi varie entre 3 et 48° (à partir de la verticale), avec un pas de 3, donnant 16 angles possibles pouvant donc être encodés sur 4 bits.

Ce qui fait que pour le code de 108 bits correspondant à notre tatouage, 27 lignes sont nécessaires pour son encodage.

Il est bien sûr possible d’orienter les lignes vers la gauche de haut en bas, conduisant à des angles variant de -3 à -48°, mais cela ne change rien concernant la valeur encodée qui est  toujours :

formule-angle-valeur

Où αk est la valeur absolue de l’angle de la ligne k et bk est la valeur comprise entre 0 et 15.

On considère qu’il n’est pas possible d’insérer plus que 60 bits du tatouage par page, car ces bits doivent être répétés plusieurs fois (la ligne coupe plusieurs portées superposées) sur la même page afin de rendre le décodage plus robuste.

Donc pour encoder les 108 bits, il faut donc au moins une partition de deux pages pour loger le tatouage complet.

Décodage

En utilisant la méthode de l’histogramme horizontal, il est possible d’isoler les lignes de portée.

Sur la partition obtenue réduite à ses lignes, il est possible d’appliquer un histogramme vertical dont les creux correspondent aux trous de la ligne par lesquels passe la ligne invisible contenant le code.

histogramme-vertical-pour-trouver-les-trous

Les creux dans l’histogramme indiquent les trous dans la ligne

La reconstitution des lignes à partir des trous est plus complexe et n’est pas abordée plus en détail ici.

Conclusions

Nous avons vu dans cet article que l’adoption des partitions numériques par les éditeurs devra passer par des méthodes de tatouage numérique permettant de limiter la diffusion illégale de partitions pour lesquelles seuls leurs acquéreurs en ont payé les droits.

Le tatouage consiste à intégrer dans la partition numérique des informations identifiant le propriétaire et l’acquéreur.

Les meilleures méthodes de tatouage sont celles dissimulant de manière invisible le code de tatouage dans la partition : Elles ne présentent aucune gène pour le musicien.

Il reste une interrogation quant au traitement de partitions tatouées par les OMR.

A l’heure actuelle, ceux-ci font abstraction des tatouages contenus dans les partitions imprimées. L’utilisation d’OMR pourra donc permettre de supprimer les tatouages par transformation d’une partition scannée en partition symbolique ..

A l’avenir les éditeurs d’OMR devront prendre en compte cette problématique afin de respecter les efforts engagés par les éditeurs et faire valoir les droits des musiciens et des éditeurs.

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Article librement adapté des articles « Evolution of Music Score Watermarking » et « Technology of Music Score Watermarking » de P. Nesi et M.Spinu

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